Dans un très bel article en date du 12 décembre 2020, le journaliste d’Axios Bryan Walsh fait le point sur l’impact du coronavirus sur l’espace public.
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Des transports aux lieux de travail en passant par les écoles ou tout simplement les lieux publics en général, il précise:
“La technologie a permis à beaucoup d'entre nous - pas tous néanmoins - de continuer à travailler, à se nourrir et même à se divertir à la maison pendant la pandémie. Mais le retrait forcé de la vie publique aura des ramifications toxiques à moins que les lieux et les services que nous partageons tous ne puissent être sauvés.(…) Aussi meurtrier que le COVID-19 a été pour ceux qui l'ont attrapé, la pandémie pourrait s'avérer encore plus dévastatrice pour les institutions et les services qui composent la sphère civique.(…) Cela signifie que la vie et les services publics - qui nous obligent à faire le travail compliqué de compromis avec nos concitoyens - seront en concurrence avec une vie privée à la demande qui ne fera que s'améliorer dans les années à venir.”
La question posée est fondamentale. Si le confort individuel a été un point important pendant les différents confinements, couvre-feux… Peu a été dit sur la réorganisation de l’espace public. Or cet espace est fondamental pour garantir à notre société un fonctionnement efficace.
En effet, au fil des mois, nombreux ont été les articles, webinars et conférences pour aider chacun à prendre soin de sa santé mentale, à se créer un espace de travail à domicile, à s’occuper à la maison avec les enfants. Bien sûr, ces éléments sont importants et il était nécessaire de s’y focaliser.
Puis, peu à peu, lorsque les communautés se sont rouvertes, le débat s’est posé: comment gérer les écoles, comment gérer les transports en commun, comment gérer les démarches administratives…
Et la réponse proposée a pu passer pour une impréparation ou une inefficacité. Alors tous les enfants ne sont pas retournés à l’école, le véhicule individuel a repris du poil de la bête…
Mais ce qui a pu passer pour de l’impréparation est peut-être quelque chose de bien différent.
L’espace public n’est pas aussi simple à organiser! L’espace privé se définit par l’espace que je crée pour moi-même où ceux que j’acceptent au sein de mon espace (famille, amis). Il y a là en général une certaine homogénéité de vues, de valeurs, de perspective voir d’origines (culturelles, socio-économiques…).
L’espace public prend le pari de faire en sorte que tout le monde puisse partager et interagir positivement dans le même espace: à l’école publique où tous les niveaux socio-économiques se croisent, dans les transports en communs où les “beaux quartiers” peuvent rencontrer, sur le chemin, les “quartiers difficiles”… Il requiert dès lors du compromis, du dialogue et la capacité à accepter une limitation de son propre espace pour pouvoir le partager avec l’autre.
Dans certains discours, le compromis est vu comme une faiblesse. Mais c’est méconnaître le fait que, en tant qu’individus sociaux, notre avantage compétitif dans la longue histoire de l’évolution est bien d’être capables de vivre les uns avec les autres. Seul, je ne suis rien et les mythes des “loups solitaires” ou des “vieux lions” ne sont que de la fictionnalité romantique vantant le concept de l’individu tout puissant que la science a depuis longtemps déconstruit.
Le bien-être individuel va donc, conformément à notre nature même, bien au-delà du confort de notre espace individuel. Il va dans la préservation de l’espace collectif et dans l’encouragement au maintien de notre contrat social, quelles qu’en soient les règles et valeurs fondatrices.
Cela appelle donc une certaine prise de perspective par rapport à la nécessité de la préservation de mon espace et à la capacité à accepter des solutions pour le bien collectif qui ne sont peut-être pas parfaitement alignées avec ma vision des choses. Mais comme j’ai pu l’évoquer dans un article précédent, aussi certain et parfait semble-t-il, mon point de vue reste excessivement subjectif et loin de la réalité.
Il est donc fondamental de résister à la tentation: de prendre à tout prix son véhicule personnel soi-disant plus “sain et sécurisé” (car il apporte bien d’autres maux), à retirer son enfant de l’école public pour lui faire suivre un parcours scolaire privé, “adapté” et exclusif (car il le privera de la socialisation nécessaire et surtout de la sérendipité du savoir).
En tant qu’individu, il importe en effet d’être capable de penser à l’espace privé et à l’espace public, de mesurer et activer notre capacité à participer à l’espace collectif et à accepter le compromis dans les règles établies par le contrat social. Tout n’est pas conforme à mon point de vue, mais il est fort possible que l’addition des points de vue amène à une perspective bien plus riche et à long terme que je ne l’imagine.
Et pour nos leaders, dans nos communautés, qu’ils soient décideurs publics, chefs d’entreprises, dirigeants d’ONGs, de clubs sportifs… il est important qu’ils jouent leur rôle pour valoriser et encourager la vie dans l’espace public:
En montrant l’exemple (nos ministres et patrons ont-ils vraiment besoin de véhicules spéciaux?)
En valorisant l’espace collectif au sein de leurs organisations
En encourageant les actions d’intérêts générales au sein et pour le compte de leur organisation.
Alors, certains diront: oui mais la technologie nous encourage à nous conforter dans notre espace privé en rendant tout disponibles à portée de main, sans plus avoir à se déplacer. C’est un fait.
Mais comme le dit si bien l’écrivain Barry Schwartz ou le professeur Jim Dator: nos outils comme nos institutions sont conçues par nous, individus et collectifs. Et si, comme ils le précisent, ces outils finissent par concevoir nos façons d’être et de penser, ils n’en restent que des outils sur lesquels nous avons encore le contrôle final.
Il nous appartient donc d’éviter d’utiliser des plateformes qui valorisent la division pour encourager l’engagement individuel. Il nous appartient de créer des plateformes qui encourageront le dialogue, le compromis et le travail collectif. La technologie peut nous aider dans cette démarche:
En mettant à disposition des outils efficaces pour combattre activement la pandémie et nous permettre de retrouver l’espace public partagé,
En créant des outils de décision qui nécessitent malgré tout une rencontre et des interactions,
En proposant des outils de transport encourageant le déplacement collectif,
En s’assurant que le confort fourni par la technologie à certains ne se fait pas au détriment du confort et de la dignité des autres.
Rien n’est complètement décidé mais il est fondamental dès aujourd’hui de réintégrer la pensée collective et la valorisation de l’espace collectif pour que nos sociétés maintiennent ce lien, ces interactions et ces compromis si fondamentaux à la survie de chaque individu.
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Bonjour et merci pour cette nouvelle proposition de cogitation collective.
Ce bref commentaire pour évoquer 1) l'initiative prise en 2010 à Grenoble pour tenter de définir les "nouveaux indicateurs de richesse" et l'étude universitaire d'évaluation des IBEST "Indicateurs de Bien Etre Soutenable Territorialisés". Parmi les conclusions de ces travaux (qui ont conduit à créer le forum international pour le bien vivre) je noterais concernant l'espace public que celui-ci, lorsqu'il est (ré)investi par les résidents (re)devient lieu de convivialité et contribue à augmenter le sentiment de bien être (cf. baromètres de quartiers).
2) les études menées par Luc Gwadzinski sur la vie la ville, la nuit car l'espace collectif n'est pas toujours déserté la nuit et une partie de la population…