Être entrepreneur est une expérience unique. Plus qu’un métier, je dis souvent qu’il s’agit avant tout d’un monde de vie. Un mode de vie qui flirte avec incertitude, succès, difficultés, inspiration, dur labeur, autonomie…
L’entrepreneuriat est un pendule qui oscille en permanence entre le merveilleux et le terrible. Des moments de pur bonheur à voir le fruit de ses actions dans un client satisfait, fidèle, engagé à des moments de profonds doutes où l’on souhaite presque tout envoyer balancer.
Le monde évolue en permanence. C’est une évidence mais qu’il est toujours bon de rappeler. Avec cette évolution vient une évolution des besoins, des mentalités, des attitudes. Face à cela, le défi de l’entrepreneur est de rester dans le creux de la vague, s’assurer que ses idées, ses produits et services, l’ensemble de sa stratégie répondent toujours à des besoins ou des envies de ses clients, de sa communauté.
Et de cette situation particulière, gérée souvent seul·e ou en petite équipe, n’est pas toujours évidente à passer.
Les questions sont toujours les mêmes: ai-je bien identifié le besoin? Ai-je l’impression d’avoir bien compris ce dont le public a besoin même si lui-même ne semble pas l’avoir identifié? Suis-je complètement “à l’ouest”? Ne suis-je pas en train de m’enferrer dans mes positions ou bien suis-je visionnaire? Et si c’est le cas, ne suis-je pas visionnaire à trop long terme?
Le cycle de questionnement est permanent. C’est ce qui fait que l’entrepreneur progresse, évolue. C’est ce qui fait le coeur battant et passionnant de l’expérience.
Mais parfois la déconnexion est, ou paraît, très grande, le fossé important, le doute majeur.
Face à cela, la communauté joue un rôle fondamental, majeur. Au-delà d’une relation fournisseur-client, l’entrepreneur se nourrit de l’engagement de l’autre vis-à-vis de sa création. L’entrepreneur grandit grâce à l’autre, celui qui lui fait confiance, qui échange, qui partage ses envies, ses besoins, ses demandes pour permettre à l’entrepreneur de se remettre en question.
Mais il arrive des fois que cette communauté ne semble pas ou plus s’engager. Une situation bien illustrée par le concept-album “The Wall” de Pink Floyd.
Un petit peu d’histoire: à la fin des années 70, Pink Floyd est au sommet de sa célébrité, et de son art. L’album “The Dark Side of The Moon”, aujourd’hui culte, domine la scène rock. Et pourtant… Roger Waters, nouveau leader du groupe après le départ de Syd Barrett, sent de plus en plus une forme de déconnexion entre son public et lui.
Il l’explique lui-même: « Eh bien, l'idée de « The Wall » est venue de dix ans de tournée, de concerts de rock, je pense, en particulier les dernières années en '75 et en '77, nous jouions devant un très large public, dont certains étaient notre ancien public. qui étaient venus nous voir jouer, mais dont la plupart n'étaient là que pour la bière, dans les grands stades, et, euh, par conséquent c'est devenu une expérience plutôt aliénante de faire les spectacles. J'ai pris très conscience d'un mur entre nous et nos public et donc ce disque a commencé comme une expression de ces sentiments.” Frustré par le manque d’échange avec son public, frustré de ne pas être compris dans ses intentions, dans sa démarche, le groupe se sent de plus en plus distant de son public.
Comme tout grand artiste, de cette frustration naîtra un important travail d’écriture qui aboutira à l’album “The Wall” l’un des plus grands albums de rock de l’histoire. Concept album réunissant le disque, le concert et un film éponyme, il sera la réponse de Waters à son public:
L’histoire de Pink, un personnage fictif faisant face à l’isolement par peur de l’autre. Une peur qui l’enferme dans un cycle de rejet, de renferment qui pourrait s’avérer fatal. Au-delà de la critique du système éducatif ou du totalitarisme (deux thèmes mieux connus dans l’album du fait de la chanson fétiche “Another brick in the Wall part 2”), cet album est à propos de l’individu, de sa relation à l’autre et de comment nos interactions avec l’autre, avec le système, avec tout ce qui constitue nos sociétés peut-être source de traumatisme menant à la division, à l’isolement, à la perte d’un lien pourtant tellement naturel et donc nécessaire chez chaque être humain. Selon le groupe en effet, le « mur » est la barrière auto-isolante que nous construisons au cours de notre vie, et les « briques dans le mur » sont les personnes et les événements qui nous détournent des autres.
Par manque de perspective, par manque de sensibilité, par simple manque de conscience, nous vivons toutes et tous des moments qui, au lieu de nous rassembler, finissent par nous éloigner et nous nous enfermons toutes et tous derrière nos murs.
Pink Floyd trouvera le moyen de briser ce mur, par le succès de son album, mais aussi concrètement parlant, lors de la tournée de l’album où un mur en carton de 12 mètres était sur scène, brisé par le groupe au lancement de la musique.
Ce sentiment de ressentir un mur entre soi et l’autre est un sentiment qui peut impacter souvent l’entrepreneur. Engagé activement, pendant des heures, des jours, sur la création de son projet, de ses produits et services, il peut être parfois difficile d’avoir le recul pour en apprécier la pertinence ou de voir comment l’adapter à ce que son public souhaite ou pense souhaiter.
Ce ressenti est souvent vécu comme le risque de dénaturer son projet, son idée, ou tout simplement le ressenti d’être mal compris, de manquer des outils, de la compétence pour faire aboutir quelque chose auquel il croit sincèrement.
Tester, questionner, échanger est alors important. Important avec son entourage mais aussi avec celles et ceux qui ont une perspective différente, une culture différente.
Il est donc fondamental pour l’entrepreneur d’être entouré, soutenu, pour éviter que ces ressentis ne mènent vers des problèmes de fonds plus grave.
Mais au-delà il est important pour l’entrepreneur, au-delà de la remise en question, de profiter de ces ressentis pour créer. La création est ce qui porte l’entrepreneur: cette envie constante d’essayer, de modifier, d’apporter de la nouveauté.
A l’image de Roger Waters, cette création est à l’entrepreneur ce que l’écriture ou la musique est à l’artiste, le moyen d’évacuer ses tensions, ses démons, ses peurs. Cette création sera pour l’entrepreneur le moyen de briser ce mur qui s’élève chaque jour un petit peu entre lui et l’autre.
Mais l’entrepreneur n’est pas un super-héros et il appartient à sa communauté de se rappeler que, comme toute relation, c’est une situation à double sens. Pour que l’entrepreneur poursuivre son entreprise créatrice, qu’il soit toujours disponible pour apporter des solutions aux problèmes de sa communauté, il est important que celle-ci s’engage pour le projet si elle en partage les valeurs et la vision. Et il ne s’agit pas forcément d’acheter, d’investir, ni même de donner “de la sueur et des larmes”. Parfois, un simple retour d’expérience concret, un simple partage, une simple question pour mieux comprendre, peut avoir autant d’effet que tout autre engagement.
Chaque jour nous bâtissons des murs. Chaque jour, comme Pink, le héros de The Wall, le monde nous impacte, nous isole. Parce que nos émotions nous submerge, parce que le monde est parfois trop grand pour nous. Tâchons d’utiliser les briques que nous avons en main pour construire des ponts, dont les entrepreneurs seront les ingénieurs, pour que, au final chacun puisse en bénéficier.
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